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pages 32 33 – JUNKPAGE 01 / avril 2013

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Voici ma chronique publiée dans JUNKPAGE, nouveau magazine culturel gratuit bordelais

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 À la dérive, une promenade qui nous sort des sentiers. Invitée par la rédaction à déambuler par-ci, par-là,
 je décide de faire le reportage à ma façon. Regard singulier, narration à la 1re personne : quand un auteur se lance
dans le journalisme d’investigation, ça ressemble à quelque chose comme ça…

n°1/
DES MUSÉES DANS LESQUELS IL N’EST PAS POSSIBLE D’ENTRER (OU PAS FACILE) (OU SUR RDV)

Ça a commencé comme ça
Ou plutôt là. Librairie La Machine à Lire, 
1er février 2013, rencontre autour du bel ouvrage de Claude Chambard, Cet être devant soi. La discussion entre l’auteur et le public porte un instant sur le métier de l’imprimerie. À cet instant Gilles-Christian Réthoré (je ne sais pas encore qu’il écrit dans le journal et moi non plus) se lève, quitte l’assistance façon sortie théâtrale, en saluant « l’ami Chambard », et dans sa réplique finale, évoque un Musée de l’imprimerie à Bordeaux, avec des hommes et des machines qui se meurent, dit-il,
et qu’on abandonne !
Dès lors, ce musée délaissé se cale dans
un coin de ma tête.

J’en parle autour de moi. Faut qu’on le trouve, faut qu’on sache.

Et puis la vie continue, on s’en occupera quand on aura le temps, c’est souvent comme ça que finissent nos idées.

Quelques matins plus tard
Je me réveille avec à l’esprit cette phrase sans doute issue d’un rêve : « mais venez donc visiter notre musée du bruit ».
Ah oui, tiens, je pense, ça serait marrant, le Musée du bruit qui court… Du on-dit et du bla-bla, scénographies de commérages, installations in situ de bobards, accrochages de rumeurs en série et présentations du grand Ouï-dire.
Décidément, je me dis, ces musées qui n’existent pas ou plus, ça me monte au cerveau.

Sur ce, m’arrive une invitation à enquêter au Museum d’histoire naturelle ! Musée fermé depuis six ans pour cause de travaux, cette nuit du 1er mars à l’occasion d’une question autour de l’événement, on y entre à nouveau. Le musée est vidé de ses animaux empaillés, traces aux murs et vitrines bâchées, je raconte à mon camarade de visite : « là, dans l’escalier, il y avait les bocaux avec les serpents, il fallait passer à côté pour monter, et là, à l’entrée, c’était l’éléphant, et là » – j’explique ça au monsieur de la sécurité qui n’a rien d’un gardien de musée – je poursuis : « là, cette pièce dans laquelle on n’a pas le droit d’aller, c’était la pièce avec les horreurs. J’étais petite, je venais là et j’avais peur : il y avait dans le formol un mouton à 2 têtes et un autre à 5 pattes. » Et le costaud de me dire : « Oui, je sais, et aussi la poule sans ailes ».

Je crois qu’il s’est foutu de moi.
 En voyant partout les renards (animal
 choisi comme signalétique de l’événement), je me suis souvenue. En rentrant chez
moi, j’ai vérifié, et dans la liste des musées bordelais, figurait encore le Musée Goupil.
 Je me suis dit :

« Mince alors, encore un musée dans lequel on ne va plus ! »

Je poursuis mes recherches
J’ai trouvé, j’ai sonné, c’est resté fermé.

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  J’ai téléphoné, j’ai laissé un message après l’annonce du répondeur, une voix masculine qui disait : « vous êtes bien au siège
de l’association des Amis des métiers de l’imprimerie, que l’on appelle vulgairement Musée de l’imprimerie. »
 Ah, j’ai pensé : si j’y arrive, ici je vais rencontrer les gardiens d’un temple.

J’attends qu’on me rappelle… Pour l’instant, je rêvasse. Mon ordinateur affiche la page d’un site : Museum of endangered sounds (autrement dit le musée des sons en voie de disparition). Plusieurs fois par jour, je clique sur l’écran et j’écoute. Ainsi, nonchalamment, je fais tourner un cadran de téléphone avec fil à ressort, j’enclenche une cassette dans un magnétoscope, ou je me prends de mélancolie au bruit du modem qui cherche Internet.

Je continue à divaguer : « pourquoi pas un musée des matières ou des jardins ou des bordelais réjouissants ou des ciels bleus ?
 Un musée des baisers sur la bouche ? 
Un musée du calendrier dans lequel on trouverait des collections de journées ratées et des séries de temps perdu ? Ou un musée des maires bordelais des cinquante dernières années (ça ferait un tout petit musée, ça serait facile à caser), ou alors un musée des ponts mal nommés, et un musée des regrets avec dedans quelques trucs du passé, un musée des tortues posées là, on ne sait toujours pas pourquoi ? Mais ça ne pourrait pas être des musées municipaux, donc on manquerait de budget, alors il faudrait trouver des mécènes, faire des fondations privées… » J’arrête là, on va se faire engueuler. 
Puis mon vrai téléphone a sonné.

J’entre enfin dans le Musée de l’imprimerie
La porte s’ouvre et Monsieur le Président en personne m’accueille.
Ah oui… quand même… c’est… : je ne m’attendais pas entrer dans un IMMENSE musée de l’imprimerie. Devant mon air ébahi, il est fier mon guide
et la visite commence au pas de course. Toutes les machines sont cachées sous des grands draps blancs, des fantômes typographes.

« C’est fermé en hiver, trop froid, regardez
la toiture ! » ; « 161 machines dont la plus ancienne date de 1800. » Je le suis : « Voilà la plus grosse, c’est Simonne, une presse typo
de 2,40 m x 1,60 m » et encore : « Regardez- moi ce massicot s’il est beau ! De la marque Massiquot en personne ! »
 Il m’explique : « On fait des démonstrations hors les murs et du cinéma aussi. On loue pour les décors. Et aussi des lithographies avec
des artistes. » Ces activités leur permettent
de renflouer le budget. Parce que, comment dire, c’est un peu déconcertant, mais figurez- vous qu’ils ne sont soutenus financièrement par rien ni personne. Pourtant de nombreux groupes scolaires viennent ici pour des séances pédagogiques pendant lesquelles les enfants fabriquent, les mains dans l’encre et les techniciens d’antan à côté pour expliquer. Les enfants qui sont venus là seront-ils plus sensibles aux pages des livres dont on craint tant la disparition ? Ah, ça y est, je me remets à faire l’utopique…

Au fond, dans l’atelier, quelques Amis sont là, la bande d’imprimeurs à la retraite tous membres actifs de l’association. On regarde ensemble les lithographies au mur, ils commentent les images disponibles à la vente : « Vous connaissez le dessinateur Romanin ? » Ils se marrent devant mon inculture : « C’était le pseudo de Jean Moulin ! »
Patrimoine industriel, gestes et métiers, avec ces outils et ces hommes, on a transmis des histoires, des images, des informations et des savoirs. À l’heure où on s’inquiète pour la fin du papier, on pourrait peut-être commencer par les considérer.
Je repars avec mon vers de Shakespeare enluminé et lithographié : cadeau de cette Maison qui mériterait davantage d’attention.

Du coup j’ai pris rendez-vous avec la directrice du Musée Goupil
Jusqu’en 1998, on le visitait. Désormais c’est un fonds sans lieu, un fonds hébergé. Il se trouve au Musée d’Aquitaine. C’est une autre passionnée que j’ai face à moi, et il suffit d’une première question à Madame Bigorne pour que tout déroule.

Goupil, du nom d’un incroyable éditeur
d’art, commerçant visionnaire, galeriste, acheteur de tableaux. Il usait de toutes les techniques à disposition pour dupliquer
les images et les vendre. Nous sommes en 1827, il s’agit des débuts de la reproduction industrielle. Lui a une certaine idée de la décoration, du commerce et de l’art. Il achète une œuvre, la reproduit, en vend les droits pour des produits dérivés (calendriers, boîtes de chocolat, lampes…), propose des kits déco (12 illustrations pour toute la maison !) et la décline à tous les prix : une même illustration en version gravure avec signature du graveur, en lithographie couleur ou n&b, en carte postale d’1 franc 50. Il sélectionne les tableaux « devant lesquels s’arrête le public dans les expositions », il n’est pas forcément avant- gardiste ou découvreur, il a davantage le génie des affaires. Adolphe Goupil possède des galeries d’art à New-York, Londres, Berlin, Bruxelles… Le fonds est colossal : une histoire du xixe siècle en estampes, gravures, lithographies et photographies. Et c’est cette collection unique au monde que les descendants de Goupil ont un jour offert à la ville.

Visite privilège, je ne suis ni chercheur, 
ni universitaire. La directrice m’ouvre
les tiroirs et me raconte les histoires.
Celles des Pendants sont savoureuses. Images qui vont par 2, façon avant-après : un couple de jeunes mariés dans son salon, Enfin seuls…, puis un même couple, monsieur en tenue de soldat, un petit bonnet de laine bleu au doigt, Layette.

Je voyais du mystère, elle me répond technique : « Les estampes et les photographies ne supportent pas la lumière plus de 3 mois, ensuite elles doivent retourner au noir pendant un an. » J’envisageais un monde clos, elle m’explique combien ce musée est vivant : «En ce moment, à Rome, il y a une exposition qui présente des dessins de Rodin pour la Porte de l’Enfer. Goupil en avait fait un album, nous avons envoyé les bons à tirer signés de la main du sculpteur ! » À la rentrée 2013, la Galerie des beaux-arts présentera les tableaux originaux de peintres italiens mis en regard avec les estampes éditées par Goupil. Ne ratez pas, les images Goupil se montrent rarement.

Conclusion sans morale
De mon investigation en sauts de puce,
 je retiens que ces deux musées-là auraient pu aller ensemble – il en fut un temps question – ; que les explications, les éruditions et les collections n’étaient pas bien loin de moi ; que les passionnés sont passionnants ; et qu’il y a matière, largement, pour en écrire davantage.

Sauf que j’ai déjà un autre truc qui traîne dans ma tête.

Sophie Poirier

Merci à Claude Chauffeteau et à
 Régine Bigorne de m’avoir reçue et raconté. À Gilles- Christian Réthoré pour sa sortie remarquable et remarquée qui m’a inspirée

 

 

 



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